Mort bête (comme disait Roland Barthes, à propos de la mort, par accident, d'Albert Camus) ou suspecte que celle de Mouloud Mammeri ? Comment a-t-il eu l'absurde idée de rentrer de Rabat à Alger dans une voiture aussi petite que sa Peugeot 205 ? Des milliers de kilomètres dans une voiture aussi exiguë et inconfortable ?
lundi 11 avril 2005.
Il était 23h et quelques minutes de cette nuit du 26 février 1989, quand Mouloud Mammeri sortit de la ville de Aïn Defla. Il amorçait, avec sa 205, un virage dangereux. La nuit était opaque. Aucun clair de lune. Soudain, un camion en stationnement, feux éteints, sans triangles de panne1, voulant l'éviter, Mouloud Mammeri donne un coup de volant à gauche.
Malheur, les phares d'une voiture qui arrive à toute vitesse en sens inverse l'aveuglent, l'obligent à donner un autre coup de volant, toujours à gauche. Catastrophe, la 205 tombe dans un ravin et s'immobilise en s'écrasant sur un tronc d'arbre. Secouru après 20 minutes (d'après le médecin de garde), il a été amené par une ambulance aux urgences de l'hôpital de Aïn Defla (le plus proche), hôpital dépourvu de matériel médical sophistiqué et sans chirurgien à l'époque. Perdant beaucoup de sang (hémorragie interne d'après le diagnostic des médecins présents cette nuit), Mouloud Mammeri rendra l'âme une heure après son admission à l'hôpital de Aïn Defla. Sur son permis et son passeport était écrit Mohammed Mammeri, personne parmi le personnel médical de l'hôpital ne reconnut l'écrivain. On avertit la police pour contacter les proches de la victime à la rue Sfindja, El Biar (Alger), comme c'est écrit sur son permis. A 8h, arrive le docteur Amar Khris (très cultivé), chef du service pédiatrie. On lui parle de l'accident, de la victime qui est à la morgue.
Il se dirige vers cette dernière. Le docteur Amar Khris reconnait tout de suite la victime. Il se tourna vers ses collègues et dit d'un ton grave : « C'est l'écrivain Mouloud Mammeri ! » Tout le monde poussa un « Ah ! » Militant « impénitent » (le mot est de l'écrivain) de la démocratie, la liberté d'expression et du berbérisme, pendant la période du parti unique, les photographies, les écrits et même le nom de Mouloud Mammeri étaient bannis de la presse d'Etat. Comment savoir que Mohammed Mammeri était Mouloud Mammeri ? De 8h à 9h, le docteur Amar Khris se démena comme un beau diable, en téléphonant à tous ses amis d'El Attaf2, de Aïn Defla, d'Alger, de Tizi Ouzou, etc. A 9h 10, il peut joindre, enfin, par téléphone la fille de Mouloud Mammeri.
Gorge nouée par les sanglots, il lui annonça la triste nouvelle. Le 27 février 1989, à 14 h, le corps de Mouloud Mammeri est ramené à son domicile, rue Sfindja à Alger. Le lendemain, Mouloud Mammeri fut enterré à Taourirt Mimoun, son village natal. C'étaient des funérailles grandioses. Du jamais-vu en Algérie. Plus de 200 000 personnes : jeunes, vieux, femmes et hommes assistèrent à son enterrement. Il n'y avait aucun officiel ! D'ailleurs, qui est « l'officiel » qui pouvait se hasarder parmi cette foule compacte qui scandait des slogans contre le pouvoir en place.
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